La question de la condition noire est épineuse et 2016 a été particulièrement marquée par de tragiques événements qui soulignent le gouffre existant entre différentes communautés sur le sol américain. Les connaisseurs de la littérature noire américaine manient certainement déjà sur le bout des doigts les œuvres de Toni Morrison ou de Maya Angelou, mais de nombreux autres romans contemporains abordent le sujet des inégalités, du poids des préjugés ou de l’acculturation des étrangers, tant sur le mode du roman d’époque que sur celui de l’analyse psychologique ou du récit socio-historique.
Ce sont ainsi 5 romans clés que nous vous proposons de découvrir ici en numérique. Ils vous feront voyager, rire, mais par-dessus tout réfléchir puis briser toutes vos certitudes, tout en permettant aux lecteurs francophones de mieux comprendre les enjeux de la condition noire aux États-Unis.
La dernière fugitive
Honor Bright, une jeune Quaker, excelle dans l’art du quilt, à tel point qu’on n’en connaît pas de meilleure. Suivant sa sœur sur un coup de tête, elle s’embarque pour les États-Unis, où elles vont rejoindre une communauté religieuse. Après une traversée épouvantable et le rapide décès de sa sœur, elle doit s’adapter à une vie uniforme où elle se voit contrainte de réfréner son talent, de se marier, de se plier aux exigences du groupe.
Au fil de rencontres plus ou moins dangereuses, elle découvre alors l’existence d’un réseau secret, « un chemin de fer souterrain » qui permet aux esclaves noirs en fuite de passer la frontière canadienne, où ils seront libres. Confrontée à sa propre évolution personnelle et spirituelle et forte de ses convictions quakers qui prônent l’égalité entre tous les hommes, Honor devra faire le choix d’agir, et ce, pour les bonnes raisons. Ce roman historique de Tracy Chevalier est, comme les précédents, particulièrement bien documenté, et donne également à lire le difficile apprentissage d’une jeune femme très particulière.
Va et poste une sentinelle
D’aucuns diront qu’il était impossible pour Harper Lee de produire un ouvrage qui dépasse (ou même égale) son précédent et unique chef-d’œuvre, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Sans vouloir leur donner raison, il s’agit ici d’un roman bien différent, plus court et moins empreint de cette noirceur propre au Gothique sudiste. Pour « Scout », devenue une jeune citadine moderne qui croit s’être affranchie de la mentalité de sa petite ville isolée, ce retour au cœur de l’Alabama auprès des proches qu’il lui reste lui fait l’effet d’un choc terrible lorsqu’elle découvre son héros de père sous un nouveau jour.
À dévorer absolument en édition numérique pour redécouvrir les personnages que nous croyions connaître. Avocat et père original et à contre-courant, Atticus Finch est une fois de plus le pilier de ce récit, mais pas forcément pour les raisons qu’avait envisagées Scout. Élevée sans compromis, la jeune femme serait-elle en réalité aveugle à la profondeur du problème des conflits raciaux et aux sacrifices à mettre en œuvre pour trouver une solution ? Pourquoi l’avocat qui avait si brillamment défendu la cause d’un jeune Noir accepte-t-il maintenant de parlementer avec des racistes notoires ?
Les faibles et les forts
Ce court roman de Judith Perrignon fait mouche en nous plongeant dans la vie quotidienne d’une famille de Louisiane. Ce matin, une descente impromptue de police à leur domicile a ravivé leurs sentiments d’humiliation et de révolte. Mais lorsque la famille est victime plus tard dans la journée d’une effroyable tragédie, il faut remonter cinquante ans en arrière pour mieux comprendre les effets à long terme de la ségrégation raciale. Les peurs, les automatismes et les inégalités se transmettent de génération en génération.
Un livre numérique à se procurer absolument pour la profondeur et la terrible évidence de ses réflexions psychologiques, doublées d’une présentation sans détours de ce qui frappe les représentants les plus démunis de la communauté noire encore aujourd’hui, dans l’Amérique d’Obama.
Fille noire, fille blanche
Joyce Carol Oates se spécialise dans les romans traitant de la question raciale aux États-Unis. Ce récit n’échappe pas à la règle et malgré son cachet typiquement américain, il touchera le lecteur par les parallèles que l’on peut effectuer avec ce qui se déroule dans les sociétés multiculturelles modernes.
C’est l’histoire de Genna et de Minette, qui partagent la même chambre au sein d’une prestigieuse université. Genna descend en droite ligne du fondateur du collège. Elle a pourtant été élevée par des parents hippies qui lui ont transmis une mentalité libertaire qui se croit débarrassée de tous préjugés. Pourtant, lorsqu’elle rencontre Minette, fille de pasteur et étudiante boursière, elle se fait un devoir moral d’aider la jeune femme à lutter contre le harcèlement dont elle se dit victime à cause de sa couleur de peau. Mais les pistes se brouillent et tout ne correspond pas forcément à l’idée qu’on s’en fait…
Americanah
On connaît Chimamanda Ngozi Adichie pour ses écrits au positionnement résolument féministe. Mais dans le roman qu’elle nous livre ici, elle choisit de se centrer sur un autre élément caractéristique de son héroïne : sa couleur de peau. Caractéristique ? Ifemelu, jeune nigériane poursuivant ses études à Philadelphie, n’avait jamais vraiment réfléchi à cette négligeable évidence qui pourtant, sur le territoire américain, semble définir toute sa personne.
Raconté avec honnêteté et non sans humour, son parcours pour s’américaniser est l’occasion de décliner toutes les facettes de l’identité des femmes noires aux États-Unis, tout en laissant entrevoir que l’héroïne ne sera peut-être plus la même à son retour au Nigeria, où l’attend son grand amour. Voici les ingrédients d’un récit puissamment humain mâtiné de questionnement identitaire.