On se souvient tous avec plus ou moins (souvent moins) de plaisir nos cours de littérature du secondaire Tous ces livres barbants qu’aucun élève de quinze ans à peine n’étaient en mesure d’apprécier à leur juste valeur, toutes ces heures passées à lire et relire les mêmes phrases pour « analyser » la structure, la forme au service du fond, et ce vocabulaire d’un autre siècle (littéralement). Pourtant, rappelez-vous bien, il y a forcément une œuvre qui vous a marqué, que vous avez, avec surprise, dévoré jusqu’à la fin, vous laissant mélancolique et pantois à quatre heures du matin. Et si l’on vous disait qu’en relisant les autres œuvres, celles dont vous avez brûlé les pages dans le grand feu du lendemain des résultats du bac, pourraient vous faire aujourd’hui le même effet. Voici 7 livres lus au lycée que vous serez ravis de redécouvrir bien des années après.
Les Fleurs du Mal
Ce recueil de poèmes de Charles Baudelaire, le plus connu, et publié dans sa version définitive à titre posthume, en 1868, est un ouvrage pensé, réfléchi, directement adressé au lecteur, « le semblable », « le frère » (cf « Au lecteur », premier poème du recueil). Baudelaire l’a construit pour lui, faisant fi des conventions sociales de l’époque qui le condamnèrent alors pour immoralité et obscénité. Ainsi, Les Fleurs du Mal n’est pas seulement une succession de poèmes. Baudelaire l’écrit en 1861 dans une lettre à Vigny : « le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu’on reconnaisse qu’il n’est pas un pur album et qu’il a un commencement et une fin. » Ces poèmes nous parlent d’un homme, d’une époque, mais surtout, et avant tout, de nous. Si l’adolescent que vous étiez alors ne s’est pas aperçu dans le miroir qu’on lui tendait, nul doute que vous vous y reconnaîtrez cette fois.
Madame Bovary
Jugé pour les mêmes motifs que Baudelaire, Flaubert eut la chance, lui, d’éviter toute condamnation. Pourtant on comprend aisément ce qui a pu choquer la morale en 1856. Une femme mariée qui se délecte dans l’adultère, déteste son enfant, et finit par choisir de se donner la mort, Emma cumule bien des fautes. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, ce personnage de Flaubert ne laisse jamais indifférent, et n’a pas pris une ride. Emma Bovary c’est l’insatisfaction pathétique, l’ennui absolu, c’est l’étalon de nos propres désillusions publiques et privées, le constat de la médiocrité qui nous entoure. Si, vraiment, vous n’avez pas le courage de vous replonger dans les interminables descriptions flaubertiennes qui jalonnent le roman, sachez que Madame Bovary a été adapté au cinéma en 2015, et que le talentueux dramaturge Tiago Rodrigues l’a récemment monté au Théâtre de la Bastille à Paris.
Les Faux-Monnayeurs
Il s’agit d’un des romans les plus connus d’André Gide, et le plus touchant, sans aucun doute. Au-delà de l’analyse classique de l’œuvre qui met en avant l’art de la mise en abyme et la place de la psychanalyse, on retiendra surtout l’importance et le traitement de l’amour sous toutes ses formes. Des amitiés amoureuses, des amours passionnées, secrets, adultères, inceste et homosexualité, les personnages se perdent dans d’interminables questions d’identité qui les conduisent au sein de relations parmi les plus pures auxquelles le cœur puisse se livrer. Les Faux-Monnayeurs est un roman où l’on souffre mais on l’on aime. Intemporel.
L’Etranger
L’Etranger est le tout premier roman de celui qui deviendra prix Nobel en 1957, Albert Camus. Il fait partie d’une tétralogie que l’auteur nommera lui-même le « cycle de l’absurde ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici, l’absurdité des hasards de la vie, la conscience de n’être sur la terre qu’en sursis, que la mort est au bout du chemin quoiqu’il arrive. Alors pourquoi réagir à tout ça autrement qu’avec indifférence ? Un livre qui vous a déprimé au lycée et vous déprimera encore aujourd’hui c’est certain, mais que vous êtes maintenant capable d’aborder par l’angle, génial, des questions philosophiques qu’il soulève.
L’Ecume des Jours
Une œuvre célèbre pour son incroyable poésie, que Michel Gondry a naturellement choisi d’adapter au cinéma en 2013 avec Audrey Tautou et Romain Duris dans les rôles principaux. La romance naïve qui vous aura séduit adolescent prendra un tournant bien plus dramatique maintenant que vous saurez lire entre les lignes de l’Ecume des Jours la critique violente des dangers du consumérisme, de la vie « facile » de ceux qui n’ont pas (encore) souffert. Boris Vian transforme ses personnages insipides en véritables héros tragiques, « le plus poignant des romans d’amour contemporains » déclarera Raymond Queneau à sa sortie.
Phèdre
On ne pouvait passer à côté de cette œuvre majeure racinienne, la preuve, vous êtes déjà peut-être en train de réciter quelques alexandrins du monologue de théâtre sans doute le plus connu du répertoire « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue (…) ». Encore un monument littéraire né dans le scandale, « faire un inceste en plein théâtre ! » s’indigne à l’époque Pradon, rival malheureux de Racine devant la postérité. Phèdre, c’est la passion ardente d’une femme pour son beau-fils. Un brasier sublimé par le carcan de l’alexandrin, par la célèbre règle des trois unités qui le nourrit et lui donne toute sa puissance cathartique. Sûrement une des plus belles passions littéraires, à relire pour brûler de désir.
Jacques le Fataliste
Peut-être Jacques le Fataliste vous aura-t-il amusé, énervé, peut-être aurez-vous froissé ses pages de rage en vous sentant pris pour un idiot par ce narrateur qui ne fait que reculer le dénouement des fameuses « amours de Jacques », car au fond c’est bien la seule raison qui vous poussa, adolescent, à lire l’œuvre dans son intégralité. Relisez donc ce conte philosophique de Denis Diderot pour la scène coquine de Jacques avec la paysanne en souvenir de vos premiers émois, mais relisez-le surtout pour comprendre la doctrine philosophique du fatalisme directement issu de la pensée des Lumières. Amusez-vous également des multiples parodies de genre que propose le philosophe et riez cette fois avec lui plutôt que de le laisser se rire de vous !